16 septembre, 17h30

Un beau soleil de fin d’été déployait une lumière claire digne d’un mois de septembre sur le campus de CHERUB. Quelques lueurs orangées commençaient à se faire voir dans les recoins les plus à l’est du ciel à mesure que l’astre descendait. Moi, j’étais dans ma chambre, la vue donnant sur le parc. Je m’étais assis sur une chaise près de la fenêtre, et avais pris une de mes guitares pour jouer quelques morceaux. Quelle originalité, vous me direz. Il faut dire que globalement, c’est tout ce que je faisais quand j’étais seul. Je ne m’en lassais pas. Quand j’en avais assez de l’électrique, je passais à l’acoustique, et si je voulais quelque chose de vraiment différent, j’optais pour le ukulélé ou la basse.

Emporté par le son de ma Gibson, je commençai à jouer quelques notes en arpège suivies de rythmiques d’accords. Depuis mon arrivée à CHERUB, je m’étais mis à composer mes propres morceaux. Peut-être allais-je sortir un album après ma carrière d’agent. Ce serait mon rêve. Jamais plus je ne pourrais faire cette percée comme le fils de mon père, et cela m’attristait autant que ça me réconfortait : d’un côté, j’aurais adoré pouvoir lui rendre hommage en suivant officiellement la même voie que lui, en tant que son fils ; mais je connaissais aussi le nombre de « fils de », célèbres uniquement pour le talent de leur père. Au moins, si je perçais, ce serait uniquement pour mon talent.

Je m’installai quelques secondes devant mon ordinateur, afin de comparer une partition avec la manière dont je jouais un morceau. J’en profitai alors pour vérifier mes mails. Un mail d’Helva Fitzhenry. Merde. Si ça se trouve je suis en retard à un rendez-vous ; elle l’avait envoyé quelques heures auparavant déjà. Je regardai : j’étais convoqué pour une mission à 18h15. Je jetai donc un coup d’œil furtif à ma montre, et soupirai de soulagement : il me restait encore une petite demi-heure avant l’heure de vérité. Heureusement que j’avais eu la présence d’esprit de vérifier mes mails. C’était un peu au dernier moment, mais j’avais mes raisons : je ne m’attendais pas à repartir en opération de sitôt. Après tout, j’étais revenu de ma mission précédente seulement dix jours plus tôt.

Franchement, je ne savais pas quoi penser : étant donnée ma situation, à savoir un retour récent de mission et un retard scolaire conséquent, le campus devait vraiment avoir besoin de moi là-bas. Un refus aurait donc été probablement très mal perçu. Mais d’un autre côté, j’étais fatigué, et j’avais passé tellement de temps en mission depuis l’obtention de mon T-shirt gris que je n’avais pas l’impression de m’être constitué un vrai groupe d’amis dans le campus. Deux grosses missions à haut risque, me prenant rassemblées un an de ma carrière d’agent, soit la moitié du temps que j’avais passé en agent opérationnel. Mais cela n’avait pas d’importance. J’avais signé pour ça, et j’étais doué. Je me demandai alors à quel genre de mission j’allais avoir affaire.

J’avais déjà eu affaire à un trafic de drogues, et à une organisation terroriste. J’étais allé en Allemagne, aux Etats-Unis, en Irlande pour des opérations de casses, et même à Oxford pour une mission de recrutement. Allais-je rester en Grande Bretagne ? Allais-je découvrir un nouvel endroit ? J’étais curieux. CHERUB avait cela d’extraordinaire, c’est qu’on pouvait voir le monde sans rien payer. Mais ça me faisait toujours bizarre d’arriver pour une mission, de me dire que pour quelques semaines, j’allais être une autre personne, connaître de nouvelles personnes, puis soudainement disparaître de leur vie, sans laisser aucune trace. Ça avait un petit côté malsain ; mais bon, c’était une vie fascinante, et avec un avenir complètement tracé.

L’heure était maintenant venue pour moi de me préparer à me rendre au rendez-vous. J’enfilai mon uniforme, que j’arborais seulement en cas de besoin, et sortis de la pièce. En arrivant à l’étage des salles de réunion, je frappai à la porte de celle où j’étais attendu. Un homme m’ouvrit, que je ne connaissais pas. Je lui adressai tout de même un signe de tête. Helva n’était pas dans la pièce. Je réalisai alors que son visage se trouvait sur l’écran de l’ordinateur, dans une fenêtre Skype. Je trouvais un peu gonflé de sa part de ne pas être présente devant moi alors qu’elle m’avait convoqué au dernier moment. Puis, je me dis que la mission était probablement à l’étranger, ce qui m’enchanta.

L’homme finit par se présenter ; il s’appelait Torin, du SAS, et mari de Helva. Il me donna par la suite quelques infos sur la mission : mon objectif : mettre une secte hors d’état de nuire. Et apparemment, je servais de solution de secours pour un agent inexpérimenté qui s’était retrouvé seul sur place. J’avais moi-même subi le même sort lors de ma première grosse mission : mon partenaire avait consommé de la drogue et avait été renvoyé de CHERUB, me laissant seul pour finir l’opération. J’avais bien flippé sur le coup, mais ça m’avait valu le T-shirt Bleu Marine. Helva précisa alors que l’ordre de mission que Torin me remettait en ce moment-même était celui des autres agents, mais que mon rôle serait similaire.

Je pris le temps de l’observer. C’était quelque chose de sérieux. J’avais déjà entendu parler des Elus de la Terre promise, plusieurs fois. Jusqu’à maintenant, j’admirais plutôt son fondateur, qui avait fait table rase des différences stupides entre les trois religions du Livre, et même étant un athée notoire, et donc incapable de rejoindre la moindre secte, il en appréciait la dynamique rassembleuse. Mais cet ordre de mission venait de lui faire changer d’avis. Encore un qui utilisait les croyances des simples gens pour asseoir son pouvoir ou causer des souffrances. Ces pauvres illuminés manipulés auraient mieux fait de lire Kerouac, ça les aurait libérés. Enfin bon, s’il fallait empêcher une secte de nuire, j’étais déterminé à aider, en tant qu’anti-fanatisme religieux.

Après ma lecture, Helva me précisa encore quelques détails : j’allais être le cousin de l’agent sur place nommé Zoël. Et donc le neveu d’Helva. J’allais donc aller à Jérusalem sous le nom de Luke Bassevi. Si on m’avait dit ça avant que je rentre, je n’aurais pas cru mon interlocuteur. Je devais donc être un renfort pour Zoël, qui avait déjà établis un contact avec sa cible, jouant une force de résistance : en tant que cousin protecteur, je devrais feindre la réticence à ce que Zoël se fasse enrôler dans une secte. Mais, pour le bien de la mission, je devrais également faire semblant d’être influençable, laissant ainsi une marge de manœuvre pour les membres de la secte de m’embobiner, et pour moi, de les infiltrer.

-J’accepte la mission. J’ai simplement une question : ai-je une cible en particulier ? Je dois reprendre celle d’Hellen ? Je peux paraître quinze-seize ans en cas de besoin, je pense. A vous de voir.

Je laissai à Helva le soin de me répondre, tandis que je me projetai déjà en Israël, prêt à réaliser ma troisième mission de grande envergure.